LE  YI  :  L’INTENTION

(Ces pages sur le Mental, l’Attention et l’Intention en Taiji, ont commencé à être écrites et mises en ligne en Février 2012. Elles sont évolutives et toujours en cours d’élaboration actuellement). 

Il n’y a pas une manière unique d’entrer dans le Taiji et de le pratiquer. Il n’y a pas non plus un enseignement standardisé. Certains enseignants privilégient une approche purement corporelle, d’autres en font une approche purement technique, un savoir-faire, d’autres encore une sorte de Qi Gong et parlent abondamment “d’énergie”, de méridiens, des 5 éléments etc…

L’auteur de ces lignes est issu de l’enseignement de Mr Wang Weiguo où l’accent est mis sur le développement qualitatif de la présence dans la pratique et sur une approche concrète du travail dit “interne”.
La forme que prend la “présence” dans le contexte de la Chine traditionnelle apparaît dans les textes anciens  et est décrite par les 10 fameuses “Règles”  de la pratique, dont la première stipule que  “l’esprit doit être éveillé”. 

Dès lors le Taiji devient une expérience de la présence, et la pratique une forme que l’on donne à cette présence. 

Le Yi, l’Intention, est le messager et la parole du “Cœur”, organe et lieu symbolique où, en l’homme, siègent les lois universelles de l’être individuel lorsqu’il est relié au Dao. Dans la pratique concrète l’Intention, cadrée par les principes traditionnels et les inductions de l’enseignant, est ce qui va guider le travail de présence du pratiquant pour le rendre conforme à “l’esprit du Taiji” (que, par le fait, nous aurons l’occasion de décoder). 

En Taiji, la seule attention portée au corps en mouvement ne suffit pas. Les mouvements (ou postures) réalisés par le pratiquant le sont dans un certain “esprit”, et mettent en œuvre certaines modalités et ressources spécifiques du mental et du corps…

Dans les pages qui suivent nous tenterons une incursion au sein de cette fameuse “Unité Corps-Esprit” qui sert de sésame dans les milieux du Taiji ou du Qi Gong sans jamais se préciser. Nous chercherons à expliciter la teneur de cette “Unité” dans un langage “moderne”  en commençant par la renommer “intégration corps-esprit” (nous aurons l’occasion de voir pourquoi). Au moment d’aborder la réalisation concrète des exercices et mouvements les élèves-lecteurs, notamment débutants, seront peut-être ainsi mieux informés de ce qui leur sera demandé d’explorer… 

Notre objectif ne sera, en aucune façon, de reformuler ce qui est formidablement bien dit dans les bons textes traditionnels ou modernes dont nous citons quelques titres dans notre bibliographie. Les propos qui ont été recueillis auprès des Maîtres, les bons livres modernes sur la pratique, sur l’Intention, restent une source incontournable à laquelle il faut régulièrement nous abreuver… 
Notre objectif est plutôt de tracer une voie parallèle aux textes et formulations traditionnelles, une sorte de contre-point, exprimée dans un langage actuel, avec des passerelles régulières entre les deux formes de pensée et d’expression.


Pour accéder aux autres pages sur le Yi :

Le Calme et la disponibilité, l’Espace-Temps

L’Intention, la Visualisation, l’Écoute

L’apprentissage de l’usage de l’Attention et de l’Intention en Taiji


L’Intention en Taiji, une pensée créatrice qui oriente la perception et l’action


L’Intention dans la pratique




Le caractère YI                         montre  dans sa partie supérieure,  l’idéogramme YIN                qui signifie  le “son”, et dans 

sa partie basse, on trouve XIN                 qui signifie le cœur, et en deuxième sens, l’esprit.

Il s’agit donc du “son émis par le cœur”, c’est la “parole du cœur”. La traduction commune est : sens, intention, désir.


L’expression YI SI                                où SI est la pensée, la réflexion, est d’usage très courant et se traduit par : sens, 

signification.


Le YI est une des 5 facultés de l’Esprit selon la pensée chinoise (pour de plus amples précisions sur la conception traditionnelle chinoise de l’Esprit dans son ensemble je renvoie le lecteur aux pages sur la philosophie chinoise).
Je rappellerai seulement ici que SHEN ou XIN (Esprit, Cœur) représentent une synthèse des fonctions mentales et spirituelles de l’homme, en tant que son Esprit reflète le Dao. Et que l’Esprit de l’Homme se décline en 5 catégories (souvent nommées “entités psychiques”) qui correspondent à 5 formes de manifestations et d’expressions du SHEN au décours de l’existence. 

Le YI est l’une des 5, mais non la moindre : le YI est dit, en effet, être la “parole du Cœur”, considéré comme le messager, l’émissaire du Shen, l’Esprit. 



Pour commencer sur le thème du YI et présenter cette fonction mentale, je vais résumer une des plus célèbres histoires métaphoriques racontées dans le livre de Zhuang Zi (l’un des sages taoïstes les plus importants avec Lao Zi)…

C’est l’histoire d’un boucher qui, à force d’entraînement et de concentration, n’use plus ses couteaux, car son savoir-faire est tel que sa lame s’infiltre, experte et vive, sans efforts, dans les espaces entre les chairs en suivant leurs lignes naturelles, sans les abîmer, et sans s’user elle-même : c’est que son YI, concentré sur le piquant et le tranchant de son instrument, en prolongement de la gestuelle du corps, devance et accompagne l’acte de trancher, qui n’a plus besoin que d’un minimum d’énergie pour être efficace. On peut dire que  son Yi “colle” à sa lame et que sa lame “colle” à la réalité des sinuosités qu’elle rencontre devant elle, à l’intérieur des chairs (j’utilise le mot “colle” volontairement, puisque c’est celui qu’on utilise aussi en Tai Ji pour décrire le lien qui unit deux partenaires dans leurs gestes).

On pourrait prendre beaucoup d’autres exemples pour illustrer le YI : tout autre artisan impliqué physiquement et mentalement dans son travail gestuel, ferait tout aussi bien l’affaire… 
Comme aussi l’archer Zen qui met toujours sa flèche en plein cœur de la cible, parce qu’il a intégré en lui une gestuelle parfaite, et qu’il “fait un” avec son outil (l’arc) et aussi avec son but (la cible)… Ou bien le calligraphe chinois avec son pinceau…
Ou encore comme le musicien qui fait corps avec son instrument et dont l’œil parcourt la partition : la musique émane de cette alliance parfaite entre son corps, son regard, son instrument et la partition. C’est le YI qui unit et guide l’ensemble corps-esprit pour toucher à la meilleure musicalité possible…
De même encore le YI du skipper est mobilisé parce qu’il est essentiel qu’il fasse corps avec son bateau et qu’il puisse avoir une grande capacité de réactivité et d’adaptation : il doit “sentir” la mer, le vent et le bateau et être “habité” par les relations entre eux (entre parenthèses, l’expression française “faire corps avec” évoque bien l’idée de l’union corps-esprit que nous cherchons à décrire ici).…

De ces exemples on peut tirer plusieurs informations à propos du Yi : 

l’Intention préside à la mise en œuvre d’une action nécessitant unes gestuelle éduquée et précise.
le Yi est donc un aspect du mental très “incarné”, “incorporé” : les organes sensoriels de perception sont donc sollicités en permanence pour adapter et guider le processus d’action.
le Yi s’exerce totalement dans l’instant présent mais y investit de façon spontanée toute une expérience acquise.
le Yi exige une très grande qualité de présence.
le Yi est orientation du mental vers un but ou la réalisation d’une action : il en porte le plan global, le déroulement, le sens. On pense à l’idée d’un “programme” ou d’une “programmation” qui serait archivée dans le cerveau.
le Yi s’entraîne, se perfectionne quand il s’exerce à l’occasion de tâches complexes demandant un “savoir-faire”.
le Yi surplombe l’action et le mouvement : il repose sur une vision globale et non fragmentaire de l’action effectuée, de son déroulement, de son déploiement spatial, il coordonne et adapte tous les paramètres (perceptions, précision gestuelle…) intervenant dans la réalisation de cette action. 
le Yi est une pensée en acte, une pensée agissante (même si cet “acte” consiste simplement à être davantage présent).
l’usage du Yi permet d’économiser de l’énergie dans l’action en allant dans le sens de la nature des choses, ce qui rejoint la philosophie du Wu Wei (= “ne pas agir à l’encontre”); le travail du Yi en Taiji permet de développer la pureté et l’harmonie des gestes. Ceci est rendu possible par la capacité du Yi à intégrer un maximum d’informations sensorielles.
le Yi comporte des capacités d’intégration, de synthèse, d’unification d’éléments disparates au service d’un acte.
si on considère que l’instant présent est unique, l’acte “en train de se faire” l’est aussi, et chaque acte réalisé est donc une “création”; mais dans le déroulement de l’acte la mise en œuvre de “processus” ou de “stratégies” ou de “savoir-faire”, relève du Yi. 


Comment traduire la notion de Yi en français?… Les termes le plus souvent rencontrés sont “Intention”, “Pensée créatrice”, “Pensée agissante”… Ces termes pris ensemble donnent un aperçu assez satisfaisant de ce qu’est le Yi : il n’existe pas de terme unique en français pour exprimer ce que contient cette capacité mentale qui consiste à visualiser le processus d’une action, à en guider la réalisation concrète en collaboration étroite avec les ressources sensori-motrices les plus fines du corps… 


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Un petit détour par la “boîte noire” qu’est le fonctionnement de notre cerveau et de notre système nerveux peut nous aider à mieux appréhender ce qui est en jeu dans cette fonction mentale impliquée dans la conception et la réalisation d’actions concrètes…

Le shéma physiologique habituel pour décrire une action ou un geste de base est en théorie le suivant :  notre cerveau reçoit de notre corps des informations sensorielles multiples (organes des sens -sans omettre la peau-, capteurs de tension et de pression répartis dans nos muscles, tendons et ligaments…). Il intègre ces données disparates et émet en retour des signaux électriques vers les organes de la motricité (muscles, tendons…) pour en modifier les niveaux de contraction et de tonus afin d’adopter les positions et de réaliser les mouvements souhaités, tout en coordonnant ces réponses musculaires/articulaires sur l’ensemble du corps dans le respect des lois fondamentales qui le régissent (équilibre, lois de la biomécanique etc…).…

En réalité la plupart de nos actes comportent des séquences plus ou moins complexes, résultant d’apprentissages préalables, déjà pré-enregistrées et archivées dans nos différentes mémoires sous forme de “shèmes prêts à l’emploi”. Car notre cerveau réalise en permanence de “l’archivage” tout comme nous procédons en informatique : en “indexant” les composantes sensorielles et motrices qui entrent dans la composition d’un “processus d’action” spécifique régulièrement utilisé. Cela lui permet, lorsque l’occasion se présente, c’est-à-dire tout le temps, de mettre en œuvre simultanément de façon économe un ensemble complexe de réponses adaptées. Il y a là un gain énorme de temps et d’énergie, ainsi que la possibilité d’améliorer ensuite sans cesse, par l’expérience, les shèmes mémorisés. Et si un acte complexe non encore archivé se présente, comme c’est le cas lors d’un nouvel apprentissage, dans la composition de cet acte il y a toujours des “process” plus simples qui sont déjà archivés et que le cerveau va pouvoir réutiliser, “recycler”.

Dans des actes complexes et riches, issus d’un long apprentissage, comme c’est le cas avec le boucher de Zhuang Zi et les autres exemples ci-dessus (le musicien, le calligraphe, le skipper, le danseur), mais aussi lorsqu’on apprend à marcher ou à pratiquer le Taiji, “l’archivage-indexation des données de l’expérience” aboutit donc à la création de programmes complexes d’action incluant technicité (process) et finalité (sens). Ces programmes ont besoin d’être régulièrement entretenus pour ne pas s’effacer, d’où la nécessité de la “pratique”. Si l’on choisit d’abandonner certaines pratiques pour s’adonner à d’autres activités nécessitant l’élaboration d’autres shèmes complexes d’action sur d’autres bases, le cerveau est capable de réorganiser ses “index” voire de réorganiser l’ordre et la hierarchie de shèmes simples issus de processus complexes…

On nomme globalement “plasticité” la capacité du cerveau à générer toujours de nouvelles organisations en fonction des nécessités de la vie réelle.

Notre cerveau est donc une véritable “bibliothèque” dynamique, mise à jour régulièrement, et de “cartes mentales”, de “représentations mentales”… 
Mais là n’est pas encore le plus étonnant… Un pianiste chevronné est capable de pianoter sur son bureau, mais également, en lisant simplement la partition, de “ressentir ses doigts” jouer la musique et “d’entendre” celle-ci. Un artisan expérimenté peut ressentir intérieurement, sans les faire vraiment, les gestes usuels de son art. Et aujourd’hui des expériences montrent que la concentration mentale seule, captée par un casque placé sur le crâne, est capable de commander des “actions” à des outils, des écrans ou des prothèses électroniques reliées extérieurement au crâne. 
Pour cela le “cobaye humain” active les “cartes mentales” dont son cerveau dispose “comme si” il était en situation d’agir réellement, et ce “comme si” est suffisant pour ébaucher “une mise en éveil” des circuits sensitifs et moteurs dans son cerveau et dans son corps, au point de pouvoir générer des actons physiques dans un circuit électronique. 

Ce qui est le plus étonnant, donc, c’est que le cerveau soit capable d’avoir conscience de ses représentations mentales archivées, de les activer, et aussi de percevoir dans le corps des effets sensibles sur les organes concernés par cette stimulation mentale sans qu’il y ait d’effectuation réelle : on peut donc dire que la pensée est agissante…

Les possiblités du cerveau de créer ces cartes/représentations mentales issues d’apprentissages divers, d’en gérer la mémorisation active, de les croiser entre elles au gré des besoins de tâches spécifiques, et de les utiliser à bon escient, sont immenses. Et nettement sous-employées! 

Hormis quelques tâches spécifiques auxquelles chacun d’entre nous s’adonne (jouer de la musique, avoir une activité manuelle demandant de la dextérité etc…) et qui demandent une élaboration complexe de ces “cartes”, la plupart de nos “shèmes d’action” ordinaires repose sur des représentations mentales sommaires de l’usage des articulations et des muscles, sur une palette étroite de shèmes simples combinés au gré des gestes et actes quotidiens…
Les cartes/représentations mentales du corps qui sous-tendent ces usages restreints sont stéréotypées et souvent limitées à quelques shémas biomécaniques simples.

Notre perception corporelle ordinaire apparaît donc très “discontinue” :  certaines zones et tissus sont “sur-représentés” dans notre cerveau, et les shémas fonctionnels que nous utilisons le plus spontanément  s’appuyent sur cette perception corporelle “à trous”. 
Inversement, des pans entiers de notre corps et de nos possibilités fonctionnelles sont “sous-représentés” dans nos “cartes mentales” : la peau, par exemple, dont on sait aujourd’hui qu’elle joue un rôle crucial dans la régulation plastique de notre shéma corporel, et ceci depuis notre plus petite enfance, et qu’on sollicite beaucoup dans la perception de soi en Taiji, est sous-investie dans nos actions et perceptions ordinaires; ou encore les volumes et les formes pleines de nos corps,  puisque ce sont surtout les articulations qui focalisent notre attention.

La perception de notre corps, reposant sur cette trame discontinue  de “pixels d’informations fonctionnelles”,  est donc une perception fragmentée, segmentée, et elle correspond aux standards habituels et socialement déterminés qui “suffisent” la plupart du temps pour réaliser les actes ordinaires.…

Récupérer davantage d’informations sensorielles dans notre corps, en exerçant une attention plus précise et plus soutenue sur nos sensations diverses est un premier point de départ pour nous permettre de compléter le champ de notre perception. 
Mais ce “comblement” des “trous” ne peut pas seulement se mener par une attention portée aux seules informations sensibles. Certes cette “écoute” attentive et détaillée est nécessaire pour augmenter la conscientisation des zones et des fonctions du corps qui sont sous-représentés parce que sous-utilisés. Mais si nous ne faisions que cela nous n’aurions à y investir que de l’écoute/attention, et le Yi ne serait guère engagé (seul son aspect de “GPS du corps” serait sollicité)…

Heureusement, nous pouvons aussi travailler directement à partir des capacités de la pensée à générer de nouveaux “programmes”, de nouveaux “shèmes complexes” dans nos représentations mentales, en lien étroit avec le domaine des perceptions corporelles et en utilisant la fonction de “visualisation”…… 
De nouveaux apprentissages, de nouvelles explorations, s’appuyant sur des images, sur des visualisations, sur une utilisation plus unifiée des perceptions corporelles grâce à des inductions verbales “ouvertes”, sont possibles : ce sont là les ressources que nous utiliserons en Taiji (encore une fois : la “pensée agissante”).
“L’archivage/indexation” de ces nouveaux programmes régénèrera et recyclera, certes, certaines “briques” déjà intégrées dans nos fonctionnements usuels, ne serait-ce que se tenir debout et marcher par exemple… Mais même ces “briques de base” seront revisitées et réutilisées dans une autre perspective, dans d’autres agencements d’informations sensorielles!! 
Un élève qui n’utiliserait que le “déjà connu” et se priverait d’une exploration intime des ressources nouvelles à découvrir et utiliser, ne ferait que se tenir sur le seuil du Taiji : à quoi bon apprendre des séries de mouvements par cœur si c’est pour les appuyer sur des shèmes sensori-moteurs mécanistes étroits. La pratique doit être l’occasion d’explorer d’autres possibilités, et cela implique un usage du Yi  ET  un développement du champ perceptif, simultanément.

Ce n’est pas nécessairement chose facile… Les shémas trop étroitement mécanistes de postures et de mouvements inscrits depuis longtemps dans nos archives mentales, ont une forte pregnance!! Les élèves en Taiji (et pas seulement des débutants!) ont tendance à y recourir par habitude, au lieu d’explorer les autres possibilités sensorielles et motrices vers lesquelles le professeur les oriente en guidant leur Yi… 


Nous verrons dans les pages qui suivent les modalités et spécificités propres de l’apprentissage et de la pratique du Taiji en ce qui concerne l’usage du Yi et des perceptions… En attendant il faut bien redire ici que les représentations mentales du corps en mouvement ou  statique (les “cartes mentales”) et les perceptions, le corps représenté et le corps perçu, sont indissociables dans la pratique. 
Nous verrons que la pratique du Taiji demande du lâcher-prise (vis-à-vis de nos habitudes mentales et corporelles) et de la disponibilité (vis-à-vis des nouvelles ressources à explorer).


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Le Yi est une clé essentielle du Taiji. “Travailler le Taiji  c’est travailler l’Intention”, dit-on souvent.

(Je rappelle ici que le terme “travail”  -qui apparaîtra souvent dans ces pages-  renvoie au terme « GONG » chinois qui signifie « expérience et apprentissage demandant du temps et de la pratique » : 功).

En Taiji le travail de l’Intention dans sa relation étroite avec le corps est un travail qualitatif et non quantitatif : il vise le développement de la précision, du discernement, de la clarté et de la tranquillité, de la vivacité et de la légèreté, dans l’usage du corps, de la pensée et des perceptions…


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Grâce à la transmission professeur-élève le YI et le champ perceptif de l’élève se forment et se développent de concert, progressivement, dans une étroite collaboration entre eux, et constituent une véritable “boussole intérieure” qui lui permet de s’orienter “mentalement-perceptivement” dans l’espace-temps de la pratique. 
Les mots, les images, les idées etc… que les professeurs utilisent forment comme un échaffaudage qui va guider les élèves pendant leur apprentissage et leur permettre de construire certaines ressources intérieures de présence, de perceptions, de représentations, nécessaires en Taiji et en Qi Gong…

Au fur et à mesure de l’évolution du pratiquant, cet état intérieur étant suffisamment étayé, le travail d’approfondissement peut ensuite avoir besoin de moins de mots ou d’images car il repose avant tout sur l’expérience, l’application des règles de la pratique, les sensations.

Les “intentions/inductions” amenées dans la pratique par l’enseignant (qui relaient, développent et précisent dans les cours les fameuses “10 règles” ancestrales du Taiji, cf. cette page sur ce site), aident donc à ancrer chez les élèves de nouveaux “agencements de représentations/perceptions”, dont nous avons parlé, mais aussi à prendre pleinement conscience des potentialités de cette forme de pensée qu’est le “YI” comme  “FONCTION d’INTENTIONNALITÉ” créatrice, agissante,  à apprendre à y recourir et à l’utiliser comme ressource essentielle du Corps-Esprit humain.


(Remarque : dans les pages ci-dessous le terme “intention” avec un petit “i” se rapportera en général à une suggestion/induction précise amenée par l’enseignant, tandis que le terme Intention, avec un grand “I” , sera l’équivalent de “YI”, c’est-à-dire “la fonction d’Intention (ou d’Intentionnalité)” dans son ensemble. Et, de manière générale, nous utiliserons des majuscules lorsque nous nommerons une FONCTION-ARCHÉTYPE dans un contexte où ce n’est pas un de ses aspects particuliers qui est visé).


Entraîner, exercer le Mental et le YI est le moyen de parvenir à une pratique juste, économe et harmonieuse. 
Inversement, la pratique régulière affine et développe le Mental et le YI…
La pratique et le Yi sont donc dans une interrelation permanente.


Bien sûr, l’Intention n’attend pas nécessairement l’heure de la pratique pour s’exercer, pas plus que l’Esprit n’attend ce moment pour se tranquilliser et se centrer! Exercer le Mental et la Conscience pendant toutes les activités de la vie quotidienne aura une influence décisive au moment de la pratique : par exemple en développant, quoique l’on fasse, la pleine conscience du corps, de l’espace et des gestes au moment présent … 

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Quelques précisions sémantiques :

Un certain nombre de termes proches apparaitront dans ces pages : 

Le mot “Esprit” lui-même nous semble, en français, un peu comme le terme “Shen” l’évoque en chinois, un terme assez générique qui regroupe l’ensemble des facultés mentales, spirituelles et psychiques du cerveau humain.

Le mot “Conscience”, fort utilisé aujourd’hui dans le champ des neurosciences (où il a perdu toute connotation morale!!), traduit le fait “d’avoir conscience de soi et du monde”, “d’être conscient de soi et du monde” : c’est donc un outil où la perception  joue un rôle important.

Le mot “Mental”, terme générique lui aussi comme l’est le mot Esprit, n’a cependant pas la connotation philosophique voire spirituelle de ce dernier. On peut l’envisager comme un ensemble des fonctions du cerveau…

L’Attention et l’Intention :

L'Attention, dans son sens commun, correspond à une forme plutôt “neutre” et “réceptive” de focalisation mentale, qui, a priori, n’induit pas; elle est tournée avant tout vers les informations sensitives et sensorielles.
Mais en réalité l’attention peut être fortement “ciblée, précise et pointue”  lorsque l’Intention la projette, la conduit, l’oriente, la focalise. 

L'Intention serait davantage “émettrice”  (créatrice, agissante) puisqu’elle contient un programme d’action, une orientation, une direction qui guident l’action du corps en collaboration étroite et permanente avec les informations sensorielles. 

Attention et Intention ne sont donc aucunement séparables : lorsque l’Intention guide le geste, l’Attention-qui-écoute est nécessairement présente; et une Attention soutenue et orientée est déjà de l’Intention!!…


Quand au terme générique de “Présence”, il désigne pour nous la capacité d’habiter pleinement son corps, ses mouvements, l’espace, en utilisant au mieux les diverses ressources du Mental, de l’Intention et de l’Attention, du Corps, des Sens, de l’Énergie etc…

La qualité de présence que l’on met dans la pratique est le reflet de la qualité de l’unité Corps/Esprit que l’on aura réussi à élaborer en soi, avec pour conséquences une relation pleinement vécue au corps, à l’espace, au partenaire etc…

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La pratique du Taiji demande un état de calme de l’Esprit et de détente du corps…

À la lecture de cette page le lecteur pressent que, pour que le YI puisse s’exercer sans entraves, avec justesse et précision, ni le corps, ni l’esprit (du boucher, de l’archer, du musicien, du pratiquant de Taiji…), ne doivent opposer de résistances : ils doivent être détendus, souples, disponibles…

En effet la qualité de l’Attention et de l’Intention est inséparable de l’état de l’Esprit en général : si le Shen (l’Esprit) est agité, troublé, l’Intention ne peut pas être claire et juste, c’est pourquoi il faut toujours d’abord “calmer et poser le Cœur”.

Mais inversement, se mettre à pratiquer est également un bon moyen de calmer et de centrer le Cœur s’il ne l’est guère au départ…


Un autre soubassement essentiel du Taiji est le contexte général, culturel et “philosophique”, qui conditionne les représentations du corps que l’on cherchera à développer en Taiji, par l’intermédiare du Yi (cf. la page consacrée à ce contexte philosophique). 

Au sein de ce contexte une représentation particulière de ce que sont l’Espace et le Temps joue un rôle essentiel qui déterminera notre usage du Yi… 

En examinant de près l’anecdote du Zhuang Zi il nous apparaît que l’action du boucher se déroule dans un espace et un temps particuliers et continus, sans failles ni ruptures, perçus de façon non ordinaire
En Taiji notre travail implique une singulière transformation de nos rapports au temps et à l’espace (lenteur de la forme, durée de l’apprentissage, expérience de la patience, appartenance à l’espace environnant etc…).


L’Intention en Taiji  s’appuie en outre sur la visualisation du corps et de l’espace et l’écoute des perceptions du corps (la proprioception et l’extéroception : l’ensemble des deux constitue la somesthésie)… Ces sens sont des outils de base avec lesquels le YI du pratiquant va se construire. 



CES QUATRE POINTS : le calme, l’espace-temps, la visualisation et l’écoute, sous-tendent l’usage du YI et du Mental en Taiji, et c’est pourquoi nous y consacrerons les paragraphes suivants…


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